Moussa Dadis Camara gracié par le président Doumbouya, la nation divisée

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onakry, 28 mars 2025 — Dans un décret lu à la télévision nationale ce vendredi soir, le président de la République, le Général Mamadi Doumbouya, a accordé une grâce présidentielle à l’ancien président de la transition, le capitaine Moussa Dadis Camara. Condamné le 31 juillet 2024 à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité liés au massacre du 28 septembre 2009, l’ex-chef du CNDD bénéficie ainsi d’une mesure de clémence, officiellement motivée par des raisons de santé.
La décision, prise sur proposition du ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, suscite d’ores et déjà une vague de réactions contrastées dans la capitale, Conakry, et au-delà. Si certains saluent un acte fort de réconciliation nationale, d’autres dénoncent un affront à la justice et aux victimes.
Une nation à nouveau ébranlée
Le massacre du 28 septembre 2009 reste l’une des pages les plus sombres de l’histoire récente de la Guinée. Ce jour-là, plus de 150 manifestants furent tués dans le stade de Conakry, des centaines blessés ou victimes de violences sexuelles, lors d’une répression sanglante imputée au régime militaire alors dirigé par Moussa Dadis Camara. Son procès, longtemps réclamé par les familles des victimes, s’était ouvert comme un signal fort d’un nouveau tournant judiciaire dans le pays.
Moins d’un an après sa condamnation, sa libération suscite donc une incompréhension légitime chez de nombreux citoyens et acteurs de la société civile.

« Dadis Camara n’est pas le seul malade en prison. Une liberté provisoire pour raisons médicales aurait suffi, mais le gracier ainsi, c’est inadmissible. Pourquoi avoir organisé ce procès si c’était pour en arriver à cela ? Quelle incohérence ! », s’indigne Alpha Boubacar Sow, observateur de la vie politique guinéenne.
Une décision à lecture politique ?

Pour certains, cette grâce ne relèverait pas seulement de l’humanité ou de la santé, mais pourrait être un acte mûrement réfléchi dans le cadre d’un calcul politique. C’est ce que laisse entendre Mamadou Diallo, manifestement outré
C’est grave quand même de la part d’un militaire… On condamne un opposant pour diffamation, mais on gracie un condamné pour crime contre l’humanité ? La campagne électorale commence déjà… »
Même son de cloche chez Ibrahima Conté, citoyen de Nzérékoré :
« Je ne suis pas un expert en politique, mais j’avais vu venir ce coup. C’est une façon de s’attirer les faveurs de l’électorat forestier. »
Une justice remise en question ?
À Kindia, l’onde de choc est également ressentie. Ibrahima Sory Sylla, activiste engagé, alerte sur l’impact d’une telle mesure sur la perception de la justice :
« Le souhait était de voir Dadis et ses co-accusés purger leur peine. Cela devrait interpeller les futurs dirigeants sur la nécessité de changer de paradigme. Condamner quelqu’un à 20 ans de prison puis le libérer ensuite, c’est difficile à expliquer. Nous pouvons alors dire que la justice n’a pas été rendue pour les victimes. »
Mais à l’opposé, quelques voix saluent la décision présidentielle, y voyant une nécessité morale et un acte d’apaisement.
« Ceux qui ont suivi le procès savent que Dadis ne ferait pas un an en prison. La justice divine dépasse celle des hommes. Dadis est une victime collatérale de ces événements », affirme Christophe Lamah, pour qui cette grâce est une « correction nécessaire d’une justice imparfaite ».
Réconciliation ou fracture ?
En toile de fond, la question de la réconciliation nationale refait surface. Le président Doumbouya a-t-il voulu envoyer un signal fort de clémence pour tourner la page ? Ou cette décision s’inscrit-elle dans une stratégie électorale de reconquête de certaines régions du pays ?
Quoi qu’il en soit, cette grâce présidentielle marque un tournant sensible, à la fois politique et symbolique. Le pays, encore profondément marqué par les plaies du passé, devra désormais gérer les conséquences de cette décision à la fois humaine, juridique et politique.
Un pays en quête de justice, de paix, mais aussi de cohérence.